×
La manie est un état psychique souvent caricaturé comme une simple euphorie ou une hyperactivité passagère. Pourtant, en clinique, elle représente une véritable altération du fonctionnement cérébral et comportemental
Dans

La manie est un état psychique souvent caricaturé comme une simple euphorie ou une hyperactivité passagère. Pourtant, en clinique, elle représente une véritable altération du fonctionnement cérébral et comportemental. Derrière cette façade d’énergie débordante se cachent des mécanismes cérébraux altérés, impliquant notamment la dopamine et la noradrénaline, qui modifient profondément le jugement et le contrôle des impulsions.

« Moi je pensais qu’une personne maniaque est obsédée par le ménage « 

T’es complètement à côté de la plaque là !

Si certains ressentent initialement un sentiment de toute-puissance et de créativité exacerbée, la manie entraîne rapidement des comportements à risque, une altération de la perception de la réalité et des prises de décision impulsives aux conséquences parfois dramatiques.


Neurobiologie de la manie : quand le cerveau s’emballe

Les recherches en neurosciences ont mis en évidence plusieurs anomalies cérébrales spécifiques à la manie. L’un des principaux systèmes impliqués est le circuit de la récompense, principalement régulé par la dopamine.

🔹Hyperdopaminergie et surestimation des capacités

En phase maniaque, une augmentation anormale de la libération de dopamine dans le cortex préfrontal et le striatum entraîne une surestimation des compétences et des idées de grandeur (Ashok et al., 2017). Cela explique pourquoi certaines personnes en phase maniaque se lancent dans des projets irréalistes ou adoptent des comportements extravagants sans percevoir les dangers.

🔹Dérégulation de la noradrénaline et hyperexcitation

L’axe noradrénergique est également fortement impliqué dans la manie. Une activité excessive de ce système favorise l’agitation motrice et cognitive, ainsi qu’une vigilance exacerbée (Goodwin & Jamison, 2007). Cet état d’hyperactivation entraîne une réduction drastique du besoin de sommeil, augmentant encore l’intensité des symptômes.

🔹Hypoactivité du cortex préfrontal et perte de contrôle des impulsions

Le cortex préfrontal, responsable du contrôle des comportements et de la prise de décision, présente une hypoactivité marquée en phase maniaque (Blumberg et al., 2003). Cela conduit à une baisse du discernement et à des actes impulsifs, souvent irréfléchis et risqués.


Les manifestations cliniques de la manie : bien plus qu’une simple euphorie

« Oui donc les personnes maniaques sont juste hyperactives et un peu trop confiantes, c’est tout ? »

Absolument pas, la dopamine va leur envoyer un pur concentré de motivation, la noradrénaline va provoquer une excitation de tout le corps et les capacités de réflexion seront engourdies pour aboutir à des décisions beaucoup trop rapides.

Concrètement, tout ça nous donne :

🔹Euphorie… ou irritabilité extrême

Si certaines personnes ressentent une exaltation, d’autres deviennent excessivement irritables. Une contradiction qui s’explique par la dérégulation des circuits de l’humeur.

🔹Comportements à risque

Achats compulsifs, dépenses excessives, conduites sexuelles à risque ou prises de décisions financières irrationnelles sont fréquents (American Psychiatric Association, 2022).

🔹Idées de grandeur et perte de contact avec la réalité

« Je vais écrire un best-seller en une nuit » ou « Je suis sur le point de révolutionner la physique quantique » sont des exemples typiques de la mégalomanie observée en phase maniaque.

🔹Réduction drastique du sommeil

Une personne en phase maniaque peut dormir à peine quelques heures, voire ne pas dormir du tout, sans ressentir de fatigue. Mais cette privation de sommeil alimente encore plus la désorganisation cognitive et émotionnelle.

🔹Episodes psychotiques

Dans les cas les plus graves, la manie peut s’accompagner d’hallucinations ou de délires, notamment de grandeur ou de persécution.

« Ah oui quand même !? Donc c’est super dangereux ? »

Si elle n’est pas diagnostiquée à temps, les conséquences peuvent être désastreuses


Conséquences : quand la manie détruit sans prévenir

Les conséquences de la manie sont souvent sous-estimées, tant par les patients que par leur entourage.

🔹Physiquement : un épuisement invisible

L’hyperactivité physique et mentale entraîne une sursollicitation du corps, augmentant le stress cardiovasculaire et l’inflammation chronique. Une privation de sommeil prolongée peut aussi provoquer des troubles neurologiques graves (Harvey, 2008).

🔹Socialement : des ruptures et des regrets

En raison de leur comportement, les personnes en phase maniaque peuvent rompre des liens familiaux ou amicaux. Une fois l’épisode terminé, elles se retrouvent souvent face aux conséquences de leurs actes (dettes, conflits, pertes d’emploi).

🔹Psychologiquement : une descente brutale

Après l’euphorie, place à la chute : beaucoup de patients entrent dans une phase dépressive sévère après une manie. Ce cycle infernal est l’une des raisons pour lesquelles le trouble bipolaire est associé à un risque suicidaire élevé.


Bref…

La manie est un état bien plus complexe que ne le laisse penser l’image de l’individu exubérant et créatif. Elle repose sur des déséquilibres neurochimiques profonds qui altèrent la perception, le comportement et la prise de décision. Sans traitement adapté, elle entraîne des conséquences graves sur la santé mentale, physique et sociale des individus concernés.

Un diagnostic précoce et une prise en charge adéquate (médicaments stabilisateurs de l’humeur, psychothérapie) sont essentiels pour limiter les rechutes et améliorer la qualité de vie des patients.

La manie n’est pas une force créative incontrôlable, c’est une tempête intérieure qui nécessite une gestion rigoureuse et une compréhension approfondie.


Bonus : Conseils pour une bonne gestion de la phase maniaque

1. Adhésion stricte au traitement médicamenteux

Les stabilisateurs de l’humeur (lithium, valproate, lamotrigine) et certains antipsychotiques atypiques (olanzapine, quétiapine, aripiprazole) sont les traitements de première ligne pour contrôler la manie (Grande et al., 2016). Il est essentiel de ne jamais arrêter son traitement sans avis médical, car le risque de rechute est élevé.


2. Régulation du sommeil

Un des premiers signes de la manie est la réduction du besoin de sommeil. La privation de sommeil aggrave les symptômes et peut déclencher un épisode maniaque (Harvey, 2008). Il est recommandé :

  • De suivre une routine stricte de coucher et de lever.
  • D’éviter les écrans et la stimulation cognitive intense avant de dormir.
  • D’utiliser des techniques de relaxation (ex. : méditation, respiration contrôlée).

3. Limitation des stimulations extérieures

L’excès de stimulations sociales, émotionnelles ou sensorielles peut accentuer la désinhibition et l’hyperactivité. Pour limiter ces effets :

  • Réduire les interactions sociales non essentielles.
  • Éviter les environnements bruyants ou surchargés sensoriellement.
  • Pratiquer des activités calmes comme la lecture ou la marche.

4. Surveillance des comportements impulsifs

La manie entraîne souvent des prises de décision impulsives, pouvant mener à des dépenses excessives, des comportements sexuels à risque ou des conflits relationnels (Goodwin & Jamison, 2007). Pour limiter ces effets :

  • Confier sa carte bancaire ou ses moyens de paiement à un proche de confiance.
  • Éviter l’alcool et les substances psychoactives, qui aggravent la désinhibition.
  • Mettre en place des rappels pour consulter un proche avant toute décision importante.

5. Engagement dans une psychothérapie adaptée

La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et la psychoéducation ont montré leur efficacité pour aider les patients bipolaires à mieux identifier leurs symptômes précoces et adopter des stratégies de gestion adaptées (Miklowitz, 2019).


6. Mise en place d’un plan de crise

Un plan de crise permet d’anticiper les épisodes maniaques et d’éviter des décisions irréfléchies. Il peut inclure :

  • Une liste de signes précoces indiquant un épisode maniaque imminent.
  • Les contacts d’urgence (psychiatre, psychologue, famille, amis de confiance).
  • Des instructions précises sur la prise de médicaments en cas de rechute.

7. Soutien social et familial

Un entourage informé et bienveillant peut aider à identifier les premiers signes d’une phase maniaque et intervenir rapidement (Perich et al., 2017). Encourager la communication avec les proches permet aussi d’atténuer les conflits liés aux comportements impulsifs.


8. Régulation de l’hygiène de vie

Un mode de vie équilibré contribue à stabiliser l’humeur :

  • Alimentation équilibrée : éviter les excès de caféine et de sucre, qui peuvent aggraver l’agitation.
  • Activité physique modérée : des exercices doux comme le yoga ou la marche peuvent être bénéfiques, mais les activités trop intenses risquent d’augmenter l’excitation.

9. Éviter les facteurs déclenchants

Certains éléments peuvent aggraver une phase maniaque ou précipiter son apparition :

  • Abus de substances psychoactives.
  • Stress excessif ou changements majeurs (ex. : déménagement, divorce).
  • Travail nocturne ou décalages horaires fréquents.

FAQ

La manie est-elle toujours agréable pour la personne qui la vit ?

Non. Certaines phases peuvent être marquées par de l’irritabilité, des angoisses et une perte de contrôle des impulsions.

Pourquoi la manie est-elle associée au trouble bipolaire ?

Parce qu’elle constitue l’une des phases principales du trouble bipolaire de type I, alternant avec des phases dépressives.

Comment traite-t-on la manie ?

Par des stabilisateurs de l’humeur (lithium, valproate) et des antipsychotiques atypiques.

La manie peut-elle être confondue avec l’hyperactivité ou une forte motivation ?

Oui, mais elle s’en distingue par son caractère pathologique : perte de contrôle, prises de risques majeures et altération de la réalité.

Bibliographie

  • American Psychiatric Association. (2022). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th ed., text rev.).

  • Ashok, A. H., Marques, T. R., Jauhar, S., Nour, M. M., Goodwin, G. M., & Young, A. H. (2017). The dopamine hypothesis of bipolar disorder revisited. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 73, 1-22.

  • Blumberg, H. P., Kaufman, J., Martin, A., Whiteman, R., Zhang, J. H., Gore, J. C., Charney, D. S., Krystal, J. H., & Peterson, B. S. (2003). Amygdala and hippocampal volumes in adolescents and adults with bipolar disorder. Archives of general psychiatry60(12), 1201–1208.

  • Berk, M., Dodd, S., Kauer-Sant’Anna, M., Malhi, G. S., Bourin, M., Kapczinski, F., & Norman, T. (2007). The emerging role of glutamate in the pathophysiology and treatment of bipolar disorder. Bipolar Disorders, 9(8), 847-861.

  • Dell’Osso, B., Camuri, G., Cremaschi, L., Dobrea, C., Cinnante, C., & Altamura, A. C. (2016). Dopaminergic dysfunction in bipolar disorder: Implications for treatment. Journal of Affective Disorders, 204, 97-103.

  • Grande, I., Berk, M., Birmaher, B., & Vieta, E. (2016). Bipolar disorder. The Lancet, 387(10027), 1561-1572.

  • Goodwin, F. K., & Jamison, K. R. (2007). Manic-Depressive Illness: Bipolar Disorders and Recurrent Depression. Oxford University Press.

  • Harvey, A. G. (2008). Sleep and circadian rhythms in bipolar disorder: seeking synchrony, harmony, and regulation. American Journal of Psychiatry, 165(7), 820-829.

  • Miklowitz, D. J. (2019). The Bipolar Disorder Survival Guide: What You and Your Family Need to Know. Guilford Publications.

  • Perich, T., Manicavasagar, V., Mitchell, P. B., Ball, J. R., & Hadzi-Pavlovic, D. (2017). The association between therapeutic alliance and outcomes in cognitive behavior therapy for bipolar disorder. Journal of Affective Disorders, 211, 169-173.

MARIUS François Psychologue et Hypnothérapeute Moulins 03000

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Auteur/autrice

francoiswinchester@gmail.com

Publications similaires

Recherche sur les psychédéliques pour la dépression : kétamine, psilocybine et MDMA en thérapie innovante.

Psychédéliques et Dépression : Une Révolution Thérapeutique ?

Et si des substances souvent associées à des contextes controversés – soirées festives ou usages illicites – détenaient la clé pour soulager...

Lire la suite
Coureur en forêt, baskets aux pieds, symbolisant les bienfaits de la course à pied pour la santé mentale et le bien-être.

La course à pied est-elle aussi efficace qu’une psychothérapie ?

La course à pied : une thérapie à part entière ou un complément à la psychothérapie ? Enfiler ses baskets pour une...

Lire la suite
Manifestantes tenant des pancartes féministes et antiracistes, représentant la critique des exclusions raciales dans le féminisme occidental. Lorsque féminisme devient racisme

Lorsque « Féminisme » devient « Racisme »

Quand l’élan d’égalité se perd dans les ombres ou lorsque « Féminisme » devient « Racisme »…Le féminisme, dans son essence, est une lumière portée sur...

Lire la suite
Un couple dans un lit, l’un endormi touchant involontairement l’autre, éveillé et perturbé, illustrant la sexsomnie.

Qu’est-ce que la sexomnie ?

Avez-vous déjà entendu parler de la sexomnie, ces comportements sexuels qui surgissent en plein sommeil, sans que la personne en soit consciente...

Lire la suite
Illustration scientifique du cerveau humain avec des zones affectées par le cannabis, mettant en évidence les risques de schizophrénie et les effets du CBD et du THC.

Est-ce que le cannabis provoque la schizophrénie ?

Le cannabis, souvent perçu comme une substance récréative ou thérapeutique, suscite des débats intenses sur ses effets sur la santé mentale. Parmi...

Lire la suite
Infographie de la psychiatrie de précision : génétique, IA et neuroimagerie pour des traitements personnalisés en santé mentale.

La psychiatrie de précision ou la haute couture de la santé mentale

Imaginez un monde où votre traitement pour la dépression ou l’anxiété serait conçu comme une clé parfaitement adaptée à la serrure de...

Lire la suite