
Depuis toujours, le racisme est présent à travers le monde. Critiqué par certains, approuvé par d’autres, cette idéologie scinde les populations et les partis politiques. En regardant ce phénomène d’un point de vue psychologique, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un réflexe naturel. L’ironie de ce phénomène est que même les personnes anti-racistes font preuve de racisme envers les personnes à la base de comportements racistes…
« ça veut dire que naturellement, n’importe qui est raciste ? »
Alors oui, le racisme est inscrit dans la psychologie humaine mais est-ce que j’ai vraiment besoin de préciser que ce n’est pas aussi simple que ça Renée ?
Commençons par le commencement et par un petit peu de définition :
Racisme (Dictionnaire Le Robert) :
- Idéologie postulant une hiérarchie des races.
- Discrimination, hostilité violente envers un groupe humain.
Racisme envers les femmes (sexisme), les homosexuels (homophobie).
La première définition concerne une conception subjective de la réalité (idéologie) selon laquelle les êtres humains ont une valeurs différentes (hiérarchie) en fonction de leur appartenance sociale (race). Appartenance sociale étant au sens large, c’est à dire qu’il peut s’agir de leur ethnie, leur âge ou même leur façon de s’habiller.
« Moi je pense que les droitiers sont plus feignants que les gauchers. C’est du racisme ? »
Absolument Renée, en disant que les droitiers sont feignants, tu émets un jugement de valeur envers le groupe social des droitiers. Tu les compares à un second groupe social (les gauchers) et tu attribues subjectivement plus de valeurs au second groupe. Donc tu considères les gauchers comme supérieurs aux droitiers.
La deuxième définition parle d’un terme souvent mal connu et utilisé n’importe comment : la discrimination. Ce mot concerne l’action de différencier de manière injustifiée un individu en fonction de son appartenance sociale. Le premier problème vient du terme « injustifié » qui a une notion subjective.
« Bah oui, quand je dis que les droitiers sont plus feignants que les gauchers c’est quelque chose que j’ai vérifié avec mes collègues de bureau »
Oui Renée, je n’en doute pas mais ce n’est sans doute pas le même point de vue que tes collègues droitiers…
La subjectivité pose problème et ne permet pas de définir clairement le concept de racisme.
« Est-ce que c’est injustifié de dire que les moines bouddhistes sont plus calmes que les poissonniers ? »
Heu ?!
Ensuite l’appartenance sociale :
C’est le fait d’être membre d’un groupe. Selon la théorie de l’autodétermination de Deci & Ryan (1985) postule que le besoin d’appartenance est l’un des trois besoins psychologiques fondamentaux (avec l’autonomie et la compétence) nécessaires au bien-être.
L’appartenance sociale peut concerner tout et n’importe quoi : italien, sportif, blond, chasseur… Il suffit que deux personnes partagent une caractéristique pour qu’ils se considèrent comme faisant partie du même groupe social.
🔹Orelsan et Gringe => Rappeurs
🔹Stephen Curry et Lebron James => Basketteurs
🔹Julien Lepers et Philippe Katerine => Célébrités françaises
🔹Gargantua et Cendrillon => Personnages de fiction
🔹Leonard De Vinci et Philipe Poutou => Êtres humains
Vous l’aurez compris, il est très facile de trouver une caractéristique commune à deux individus et de les considérer comme faisant partie du même groupe. C’est ce qu’on appelle la catégorisation sociale (Tajfel & Turner, 1979). D’autant plus que l’appartenance sociale est lié à ce qu’on appelle le sentiment d’appartenance social. Ce sentiment influence l’identité et va pousser l’individu a adopter les caractéristiques du groupe auquel il s’identifie (Identification sociale Tajfel & Turner, 1979).
« Donc si je partage des centres d’intérêt avec une personne, je vais m’identifier à elle et je vais renforcer cette identification en adoptant d’autres caractéristiques propres à cette personne ? »
Bien joué Renée ! Et ça va renforcer ton sentiment d’appartenance sociale.
Donc la personne qui appartient à un groupe, définira son identité en fonction de son groupe et elle cherchera, de ce fait, à maintenir une image positive de ce groupe (Tajfel & Turner, 1979). Et c’est là que les ennuis commencent !
De manière naturelle, les individus vont comparer leur groupe aux autres afin de maintenir une image positive (Tajfel & Turner, 1979). Mais ils vont aussi favoriser leur groupe (endogroupe) et avoir des stéréotypes négatifs à l’égard des autres groupes (exogroupes) (Brown, 2000).
« Attend, c’est quoi un stéréotype ? »
Les stéréotypes sont des croyances généralisées à propos des caractéristiques, des traits ou des comportements d’un groupe social (Allport, 1954). Ils peuvent être positifs ou négatifs et servent à simplifier la perception sociale en catégorisant les individus selon leur appartenance à un groupe.
La mémoire a son rôle à jouer dans ce processus, on parle alors de Chunking. Le Chunking c’est le fait de regrouper des éléments ensemble pour faciliter leur mémorisation. Si on veut se souvenir des chiffres 1 9 0 1 1 9 3 9, il est plus simple de les retenir en les regroupant pour leur donner une signification, soit : 1901 et 1939. Ces deux nombres sont alors appelés des Chunks (Baddeley, 2004 ; Miller, 1956).
Dans le cas des stéréotypes, on appelle ce processus catégorisation sociale (expliqué plus haut), qui permet aux individus de structurer l’information en classant les autres en groupes (Tajfel & Turner, 1979). Ce processus est considéré comme une forme de cognition sociale automatique (Devine, 1989), influençant la perception et l’interaction avec autrui (Fiske & Taylor, 1991). Ils sont acquis par l’expérience, la socialisation et l’exposition aux normes culturelles (Devine, 1989).
Les stéréotypes sont renforcés par le biais de confirmation, c’est à dire que les individus ont tendance à chercher des informations qui confirment leurs croyances préexistantes et à ignorer celles qui les contredisent (Snyder & Swann, 1978). Ils vont surtout s’activer en situation d’incertitude (Tversky & Kahneman, 1974).
Les conséquences :
Les stéréotypes influencent la manière dont nous percevons et interagissons avec les autres. Par exemple, l’effet Pygmalion montre que les attentes stéréotypiques des enseignants influencent les performances des élèves (Rosenthal & Jacobson, 1968). Ils peuvent également induire des biais dans le recrutement, l’évaluation des compétences ou la perception des émotions (Fiske, 1998).
La théorie de la menace du stéréotype de Steele & Aronson (1995) montre que la simple conscience d’un stéréotype négatif peut affecter les performances des personnes appartenant au groupe concerné. Par exemple, si on expose des femmes à ce tristement célèbre stéréotype « les femmes sont mauvaises en maths » et qu’on leur demande ensuite de réaliser un test de math, leur note en sera négativement impactée (Spencer et al., 1999).
« Si j’ai bien compris, un stéréotype est une croyance qui va influencer la perception des personnes non ciblées par ce stéréotypes mais aussi le comportement des personnes ciblées »
Exactement, ce qui renforcera la croyance accordée au stéréotype en question.
« Donc il suffit d’arrêter de s’identifier à un groupe et il n’y a plus de problème ! »
Toi, tu n’as pas suivi…
Les retentissements de l’appartenance sociale :
Le besoin d’appartenance est universel et fondamental, l’exclusion sociale peut avoir des conséquences négatives sur la santé mentale et physique (Baumeister & Leary, 1995). L’exclusion et la discrimination peuvent provoquer une baisse de l’estime de soi, des comportements agressifs et défensifs (Branscombe et al., 1999). Les personnes socialement intégrées ont une meilleure santé psychologique, tandis que l’isolement est associé à la dépression et à l’anxiété (Holt-Lunstad et al., 2010). D’autres recherches sur la théorie de l’identité sociale en contexte de stress (Haslam et al., 2018) suggèrent que l’appartenance à des groupes sociaux peut protéger contre le stress et renforcer le bien-être.
Il y a donc des bénéfices non négligeables dans l’identification à un groupe, c’est pas pour rien qu’on parle de besoin fondamental.
« Ok, donc tout le monde a un besoin fondamental d’être raciste ! Génial, t’as gâché ma journée, merci ! »
Détends toi Renée, ce n’est pas fini…
Comment éviter ces raccourcis mentaux :
Un chercheur nommé Devine a découvert qu’avec un processus conscient et intentionnel, l’être humain est en capacité d’inhiber ce processus lié à la dévalorisation de l’exogroupe. On peut en déduire qu’avec le temps et la répétition, ce processus devient automatique. Pour se faire, il est nécessaire d’avoir une forte motivation (Monteith, 1993). De ce fait, avec de l’entrainement, il serait possible de se débarrasser de notre tendance naturelle à être raciste. Deuxième solution : l’exposition prolongée à des contre-exemples ou des interactions intergroupes positives (Pettigrew & Tropp, 2006) permettrait de contre dire et donc d’annuler ces croyances négatives à l’égard de l’exogroupe. Encore faut-il que notre besoin d’appartenance soit comblé…
Bref…
Dans le but de simplifier le monde, nous regroupons les éléments de notre environnement sous forme de groupes, en fonction des caractéristiques communes qu’ils partagent. L’identité sociale, qui est un besoin fondamental, nous pousse à nous identifier à un groupe. Ce qui va influencer notre perception du monde et des autres. De manière naturelle, cette identité sociale va dévaloriser les autres groupes pour valoriser le notre.
Alors oui, le racisme est inscrit dans la psychologie humaine, mais ce n’est pas inévitable !
FAQ :
1. Le racisme est-il vraiment naturel ?
Oui, dans le sens où la catégorisation sociale est un processus automatique qui nous pousse à regrouper les individus en fonction de caractéristiques communes. Cela peut engendrer des stéréotypes et des discriminations, mais ce n’est pas une fatalité : avec de la conscience et des efforts, on peut les déconstruire.
2. Peut-on se débarrasser du racisme ?
Oui, selon les recherches en psychologie sociale, il est possible de réduire les biais racistes grâce à l’exposition à des contre-exemples positifs, des interactions intergroupes et un travail conscient de déconstruction des stéréotypes.
3. Quelle est la différence entre stéréotype, préjugé et discrimination ?
- Stéréotype : croyance généralisée sur un groupe (ex. « les Français sont romantiques »).
- Préjugé : attitude négative ou positive basée sur un stéréotype (ex. « je n’aime pas travailler avec des Français car ils sont trop romantiques »).
- Discrimination : comportement injuste basé sur un préjugé (ex. « je refuse d’embaucher des Français »).
4. Pourquoi avons-nous besoin de nous identifier à un groupe ?
L’appartenance sociale est un besoin fondamental pour le bien-être humain. Elle renforce l’estime de soi et offre un soutien face au stress. Cependant, elle peut aussi entraîner une dévalorisation des autres groupes, d’où l’importance d’une approche inclusive.
5. Comment lutter contre les stéréotypes ?
- Prendre conscience de ses propres biais.
- S’exposer à des contre-exemples positifs.
- Encourager les interactions intergroupes.
- Remettre en question ses croyances et chercher des preuves contradictoires.
Bibliographie
- Allport, G. W. (1954). The nature of prejudice. Addison-Wesley.
- Baddeley, A. (2004). The Essential Handbook for Human Memory Disorders for Clinicians. John Wiley and Sons.
- Baumeister, R. F., & Leary, M. R. (1995). The need to belong: Desire for interpersonal attachments as a fundamental human motivation. Psychological Bulletin, 117(3), 497-529.
- Branscombe, N. R., Schmitt, M. T., & Harvey, R. D. (1999). Perceiving pervasive discrimination among African Americans: Implications for group identification and well-being. Journal of Personality and Social Psychology, 77(1), 135-149.
- Brown, R. (2000). Social identity theory: Past achievements, current problems and future challenges. European Journal of Social Psychology, 30(6), 745-778.
- Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. Springer Science & Business Media.
- Devine, P. G. (1989). Stereotypes and prejudice: Their automatic and controlled components. Journal of Personality and Social Psychology, 56(1), 5-18.
- Fiske, S. T. (1998). Stereotyping, prejudice, and discrimination. In D. T. Gilbert, S. T. Fiske, & G. Lindzey (Eds.), The handbook of social psychology (Vol. 2, pp. 357-411). McGraw-Hill.
- Fiske, S. T., & Taylor, S. E. (1991). Social cognition (2nd ed.). McGraw-Hill.
- Haslam, C., Jetten, J., Cruwys, T., Dingle, G. A., & Haslam, S. A. (2018). The new psychology of health: Unlocking the social cure. Routledge.
- Holt-Lunstad, J., Smith, T. B., & Layton, J. B. (2010). Social relationships and mortality risk: A meta-analytic review. PLOS Medicine, 7(7), e1000316.
- Miller, G. A. (1956). The magical number seven, plus or minus two: Some limits on our capacity for processing information. Psychological Review, vol. 63, no 2, 1956, p. 81–97
- Monteith, M. J. (1993). Self-regulation of prejudiced responses: Implications for progress in prejudice-reduction efforts. Journal of Personality and Social Psychology, 65(3), 469-485.
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- Rosenthal, R., & Jacobson, L. (1968). Pygmalion in the classroom: Teacher expectation and pupils’ intellectual development. Holt, Rinehart & Winston.
- Snyder, M., & Swann, W. B. (1978). Hypothesis-testing processes in social interaction. Journal of Personality and Social Psychology, 36(11), 1202-1212.
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- Tajfel, H., & Turner, J. C. (1979). An integrative theory of intergroup conflict. In W. G. Austin & S. Worchel (Eds.), The social psychology of intergroup relations (pp. 33-47). Brooks/Cole.
- Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science, 185(4157), 1124-1131.
MARIUS François Psychologue et Hypnothérapeute Moulins 03000