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Discussion autour des limites du diagnostic psychiatrique
Dans

Un diagnostic psychiatrique, c’est rassurant. Ça pose un mot sur une souffrance. Ça donne l’illusion de comprendre. Mais si ce mot n’expliquait rien ? Et si, au lieu d’éclairer, il obscurcissait la réalité psychique ? C’est exactement ce que défendent de nombreux chercheurs et cliniciens, de plus en plus critiques vis-à-vis des classifications psychiatriques dominantes.

Bienvenue dans la zone grise des diagnostics psychiatriques — là où la science doute, et où la clinique réclame du bon sens.

Le diagnostic psychiatrique simplifient une réalité complexe

Le DSM-5, référence mondiale en matière de diagnostic psychiatrique, est souvent traité comme une bible. Mais une bible sans fondement biologique clair. La plupart des troubles listés ne disposent d’aucun marqueur objectif, ni biologique, ni neurologique. Ce sont des syndromes descriptifs, construits sur des consensus professionnels (American Psychiatric Association, 2013). Autrement dit : le DSM classe des manifestations observées… mais ne dit rien de leur cause. Et deux personnes souffrant d’une même étiquette peuvent avoir des profils totalement opposés (Frances, A., 2013).

Les diagnostics, tels que ceux du DSM-5 ou de la CIM-11, cherchent à classer les troubles mentaux en catégories précises. Pourtant, la souffrance psychique est rarement aussi nette. Une étude de Zimmerman et al. (2019) a montré que la majorité des patients présentent des symptômes qui traversent plusieurs diagnostics, un phénomène appelé comorbidité. Par exemple, une personne peut avoir des symptômes d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique en même temps, sans qu’aucune étiquette ne capture pleinement son expérience. Cette étude, publiée dans Psychological Medicine, a analysé 34 études et conclu que 60 à 80 % des patients psychiatriques reçoivent plusieurs diagnostics, ce qui remet en question l’idée que les troubles mentaux sont des entités distinctes. Plutôt que de les enfermer dans une étiquette, il est plus utile d’explorer les facteurs uniques – stress, relations, traumatismes – qui alimentent leur souffrance.

« Oui mais il suffit d’être plus consciencieux pour poser un diagnostic »

Oui Benoit, c’est un premier point, mais trouver le bon diagnostic n’est pas le seul problème…

Le diagnostic psychiatrique stigmatise

Attribuer un diagnostic peut aussi figer une personne dans une identité pathologique. L’effet d’étiquetage, bien connu en psychologie sociale, pousse les individus à se conformer aux attentes liées à leur diagnostic. On soigne alors un mot, pas un être humain.

Une étude de Corrigan et al. (2020), parue dans World Psychiatry, a exploré l’impact de l’auto-stigmatisation chez les personnes diagnostiquées avec des troubles comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire. Les chercheurs ont interrogé 200 participants et constaté que 65 % d’entre eux ressentaient une baisse d’estime de soi après leur diagnostic, car ils internalisaient des stéréotypes négatifs (ex. : « je suis dangereux » ou « je suis faible »). Ce phénomène, appelé « effet why try », peut décourager les gens de chercher de l’aide ou de poursuivre leurs objectifs.

« Oui… La stigmatisation… On en parle à tout va mais c’est pas catastrophique non plus… »

La stigmatisation est déjà un problème en soi, mais il y a pire :

Les études de David L. Rosenhan :

Dans son article de 1973, « On Being Sane in Insane Places », publié dans Science, David L. Rosenhan expose une expérience troublante qui met en lumière les failles du système psychiatrique. Huit personnes saines d’esprit, les « pseudo-patients », se font volontairement interner dans des hôpitaux psychiatriques en prétendant entendre des voix. Une fois admis, ils cessent tout symptôme et agissent normalement. Pourtant, tous sont diagnostiqués avec des troubles graves, comme la schizophrénie, et leurs comportements banals sont interprétés comme pathologiques. Aucun soignant ne détecte leur santé mentale, et leur sortie dépend de l’acceptation de leur « maladie ». Une seconde expérience montre qu’un hôpital, défié de repérer de faux patients, surdiagnostique à tort des dizaines de personnes.

« Le point central du problème c’est donc la fiabilité des diagnostics ? »

Exactement Benoit !

Le diagnostics psychiatrique manque souvent de fiabilité

Pour qu’un diagnostic soit utile, il doit être fiable, c’est-à-dire que différents cliniciens devraient poser le même diagnostic face à un même patient. Or, une étude de Regier et al. (2021), publiée dans American Journal of Psychiatry, a révélé des variations importantes dans les diagnostics posés. Lors des essais sur le terrain du DSM-5, 400 cliniciens ont évalué des patients, et les résultats ont montré que pour des troubles comme le trouble dépressif majeur, seulement 60 % des cliniciens s’accordaient sur le diagnostic. Ces divergences s’expliquent par les différences de formation, les biais culturels ou les interprétations subjectives des symptômes. Cela signifie qu’un même patient pourrait être diagnostiqué dépressif par un clinicien, anxieux par un autre, ou même ne recevoir aucun diagnostic.

Le psychiatre britannique Joanna Moncrieff résume bien le paradoxe : “Les diagnostics psychiatriques ne reflètent pas des maladies naturelles, mais des jugements culturels et sociaux sur le comportement humain” (Moncrieff, 2007). La dépression en Occident n’a pas les mêmes contours qu’en Asie. L’hyperactivité est surdiagnostiquée aux États-Unis. Le contexte socioculturel façonne le trouble.

« Ok donc la fiabilité, la culture, la stigmatisation. On a fait le tour des problèmes liés aux diagnostics ? »

Pas complètement

Le diagnostic psychiatrique ne reflète pas des causes biologiques claires

On pourrait penser que les diagnostics correspondent à des anomalies biologiques précises, comme une fracture pour un os cassé. Pourtant, les recherches montrent que ce n’est pas le cas. Une étude d’Insel et Cuthbert (2018), publiée dans American Journal of Psychiatry, dans le cadre du projet Research Domain Criteria (RDoC), a examiné les bases biologiques des troubles mentaux. Les auteurs ont analysé des données d’imagerie cérébrale et de génétique sur 1 000 patients et conclu qu’aucun trouble du DSM ne correspond à un biomarqueur spécifique (ex. : une lésion cérébrale ou un gène unique). Par exemple, deux personnes diagnostiquées dépressives peuvent avoir des profils neurologiques très différents.

Des années de recherches en neurosciences cognitives n’ont pas validé l’existence de structures cérébrales spécifiques associées à des troubles mentaux particuliers. Au contraire, les mêmes anomalies (par exemple, réduction de la matière grise) sont retrouvées dans des diagnostics très variés, voire chez des sujets sains. Thomas Insel, ancien directeur du National Institute of Mental Health, a lui-même reconnu que le DSM était “non scientifique” et que ses catégories n’avaient aucune validité biologique (Insel, T. R., 2013).

« Il est donc impossible de trouver une cause objective. Est-ce que c’est un problème pour autant ? »

Bien sûr que c’est un problème !

Depuis les années 80, le nombre de troubles mentaux listés dans le DSM a explosé du fait qu’on n’ait pas la cause mais seulement une description. On est passé de 106 diagnostics en 1952 à plus de 300 aujourd’hui. Résultat ? La médicalisation de la tristesse, de l’anxiété ordinaire, des deuils normaux, des colères infantiles… (Horwitz, A. V., & Wakefield, J. C., 2007). Cette sur-pathologisation fait perdre de vue la singularité de chaque souffrance. On colle des étiquettes au lieu d’écouter.

« J’ai compris ! L’absence de lumière sur les causes provoque une augmentation des diagnostics. Il s’agit d’une catégorisation descriptive qui va aussi considérer les traits de personnalité comme faisant partie de la pathologie. Résultat, le nombre de pathologie explose et les traitements aussi. Du coup, les patients sont traités avec des médicaments qui ne sont pas adaptés puisque les diagnostics ne leurs correspondent pas. »

Bien joué Benoit ! Et maintenant que tout est clair :

Expliquer les symptômes et non les catégoriser :

Faut-il abandonner totalement les diagnostics ? Pas nécessairement. Ils peuvent faciliter la communication entre professionnels, structurer une prise en charge. Mais ils ne doivent jamais primer sur la rencontre clinique.

Des alternatives doivent encore émerger, comme le modèle en réseaux de symptômes (Borsboom, 2017) :

Dans son article de 2017, Denny Borsboom révolutionne la compréhension des troubles mentaux avec sa « théorie des réseaux », publiée dans World Psychiatry. Contrairement aux modèles classiques qui attribuent un trouble à une cause unique (par exemple, un déséquilibre chimique), Borsboom propose que les troubles mentaux naissent d’un réseau d’interactions entre symptômes. Par exemple, l’insomnie peut aggraver l’anxiété, qui à son tour intensifie la dépression, formant une boucle auto-renforçante. Cette approche voit les symptômes comme des nœuds interconnectés, où l’activation de l’un peut déclencher d’autres, expliquant pourquoi les troubles évoluent et persistent.

« Donc l’une des pistes d’amélioration serait soit de déterminer la cause de la pathologie pour trouver le traitement adapté, soit de déterminer tous les symptômes et leurs interactions les uns avec les autres »

C’est tout à fait ça !

En bref…

Le diagnostic psychiatrique peuve donner un cadre, mais il ne raconte pas toute l’histoire. Il simplifie, stigmatise, manque de fiabilité, et ne repose pas sur des bases biologiques claires. Surtout, il risque de nous faire oublier l’essentiel : chaque personne est unique, avec une histoire, des forces, et des aspirations. Comme le disait le psychiatre Viktor Frankl, la souffrance trouve son sens dans le vécu de celui qui la traverse. Alors, pourquoi ne pas commencer par écouter ce vécu ?

Si vous vous sentez perdu dans vos émotions ou face à un diagnostic, parlons-en. Ensemble, nous pouvons explorer ce qui vous pèse et tracer un chemin qui vous ressemble.


Bibliographie

  • American psychiatric association. (2015). Dsm-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.). Elsevier Masson.

  • Barlow, D. H., Farchione, T. J., & Sauer-Zavala, S. (2022). Unified Protocol for Transdiagnostic Treatment of Emotional Disorders: A Randomized Controlled Trial. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 90(3), 203-215.

  • Borsboom, D. (2017). A network theory of mental disorders. World Psychiatry.

  • Corrigan, P. W., Larson, J. E., & Rüsch, N. (2020). Self-stigma and the “why try” effect: Impact on life goals and evidence-based practices. World Psychiatry, 19(2), 154-164.

  • Frances, A. (2013). Saving Normal. HarperCollins.

  • Horwitz, A. V., & Wakefield, J. C. (2007). The Loss of Sadness. Oxford University Press.

  • Insel, T. R. (2013). Transforming Diagnosis. National Institute of Mental Health.

  • Insel, T. R., & Cuthbert, B. N. (2018). Research Domain Criteria (RDoC): Toward a new classification framework for research on mental disorders. American Journal of Psychiatry, 175(7), 591-598.

  • Moncrieff, J. (2007). The Myth of the Chemical Cure. Palgrave.

  • Regier, D. A., Narrow, W. E., & Clarke, D. E. (2021). DSM-5 field trials in the United States and Canada: Diagnostic reliability of selected disorders. American Journal of Psychiatry, 178(1), 59-67.

  • Rosenhan, D. (1973). On Being Sane in Insane Places. Science.

  • Zimmerman, M., Ellison, W., & Young, D. (2019). How often do psychiatric disorders co-occur? A meta-analysis of comorbidity. Psychological Medicine, 49(11), 1761-1771.

FAQ

1. Les diagnostics psychiatriques sont-ils toujours inutiles ?

Pas toujours. Ils peuvent guider un traitement ou faciliter l’accès à des prises en charge (ex. : remboursements). Mais ils ne doivent pas être une fin en soi, car ils simplifient souvent une réalité complexe.

2. Comment savoir si un diagnostic psychiatriques est fiable ?

La fiabilité varie selon les cliniciens et les troubles. Une étude (Regier et al., 2021) montre que les diagnostics peuvent diverger d’un professionnel à l’autre. Demandez une évaluation approfondie et discutez de vos doutes avec votre psychiatre et/ou psychologue.

3. Les TCC fonctionnent-elles sans diagnostic psychiatrique ?

Oui ! Les TCC, comme l’approche transdiagnostique étudiée par Barlow et al. (2022), ciblent des mécanismes spécifiques (ex. : pensées automatiques) et s’adaptent à vos besoins, avec ou sans diagnostic.

4. Un diagnostic psychiatrique peut-il aggraver ma souffrance ?

Pour certains, oui. Corrigan et al. (2020) montrent que les diagnostics peuvent entraîner une auto-stigmatisation, surtout pour des troubles comme la schizophrénie. Parler de votre ressenti avec un professionnel peut aider à dépasser cela.

5. Que faire si je ne me sens pas écouté à cause de mon diagnostic psychiatrique ?

Exprimez vos préoccupations à votre psychologue ou changez de professionnel. Une approche centrée sur votre histoire, comme celle que je propose à Moulins, peut vous aider à vous sentir mieux compris.

MARIUS François Psychologue et Hypnothérapeute Moulins 03000

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