×
Addictions comportementales : Comprendre le rôle de la dopamine, du craving et des conséquences
Dans

Les addictions comportementales sont souvent méconnues ou minimisées par rapport aux addictions aux substances. Pourtant, elles reposent sur les mêmes mécanismes neurobiologiques, notamment l’activation du circuit dopaminergique. Ce circuit, responsable de la motivation et du renforcement des comportements, peut conduire à une perte de contrôle et à une dépendance, même en l’absence de substance psychoactive. De la pratique excessive du sport aux jeux vidéo, en passant par les interactions sociales ou la musique, certains comportements peuvent devenir des addictions lorsqu’ils répondent aux critères définis par Aviel Goodman. Cet article explore ces mécanismes et met en lumière les similitudes et distinctions entre addictions comportementales et addictions aux substances.

« Quoi ?! Les addictions ne concernent pas seulement les drogues ? »

Non et vous verrez que tout peut être une addiction, mais pas n’importe comment !

Le circuit dopaminergique est très présent dans la vie et s’active lors de nombreuses et différentes occasions. Il sécrète de la dopamine dans le but de « sauvegarder » un comportement : un bon repas, une bonne nuit de sommeil, une relation sexuelle…

« Ha oui, la dopamine : l’hormone du bonheur ! »

Absolument pas !

La dopamine est assimilée au bonheur mais en est bien distincte. La dopamine agit comme un coach, elle est responsable de la motivation dont on va bénéficier pour atteindre un objectif. Une fois atteint, d’autres hormones seront sécrétés et provoqueront un sentiment de bien-être. Lorsque ce sentiment de bien-être arrive, le cerveau enregistre en mémoire le comportement comme source de bonheur et sécrète de la dopamine. Ce qui aura comme conséquence un renforcement du circuit de la dopamine. En bref, plus le comportement est répété, plus on aura de la motivation à le répéter.

« Mais alors, où est le problème ? »

Le problème c’est que cette motivation devient tellement importante qu’elle prend la forme d’une pulsion incontrôlable. C’est ce qu’on appelle le Craving. Il peut être déclenché par une émotion, une musique, une odeur ou à la simple vue d’un objet… Vous l’aurez compris, c’est comme une bombe pouvant exploser au moindre courant d’air. C’est l’un des trois critères de l’addiction.

Selon Aviel Goodman (1990), l’Addiction se définit de la sorte : « Un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir ou de soulager un malaise intérieur et qui se caractérise par l’échec répété des tentatives de contrôle et par sa résistance en dépit des conséquences négatives« . Trois dimensions se distinguent dans cette définition :

  • Procure du plaisir/soulage un malaise intérieur

  • Hors de contrôle

  • Conséquences négatives

« Cette définition s’applique vraiment à n’importe quel comportement ? Même au Rubik’s Cube ? »

Bien sûr ! Lorsqu’on entend addiction comportementale, on pense tout de suite aux écrans, ou au jeux d’argent. Mais sachez que certaines personnes ne peuvent s’empêcher d’enlacer leur partenaire, de faire du sport ou de prier.

« Quoi ? Ce sont des addictions ? »

Si le comportement correspond aux critères de la définition, alors oui. C’est peut-être interpellant mais il faut retenir que le contexte à un rôle majeur dans la classification d’un comportement comme une addiction. En fonction de celui-ci, l’addiction comportementale sera adaptée ou non. Si Jimmy Hendrix était addict à la pratique de la guitare, personne ne l’aurait remarqué, de par son contexte, ce qui n’aurait pas posé de problème. Par contre, si c’était le cas pour Emmanuel Macron, ça aurait été un peu plus perceptible… Au même titre que l’addiction à la cocaïne. Quoique…

« Oui mais, c’est quand même différents de la cocaïne non ? »

Pas tant que ça, puisque le comportement va lui aussi provoquer la sécrétion de neurotransmetteurs et accrocher l’usager ou non en fonction de la fameuse « Triade personne-substance-environnement » (Cf. Addiction). Le facteur « substance » est simplement remplacé par « comportement » mais garde les mêmes critères (disponibilité, accessibilité, effets…). Donc, si par conditionnement et avec l’aide du circuit de la récompense, le comportement est enregistré comme procurant du plaisir, il a de fortes chances de se répéter dans le futur. D’abord dans le même contexte, puis il pourra glisser petit à petit, pour procurer le même effet dans des situations complètements différentes.

Prenons l’exemple de Josiane :

Vignette clinique :

Josiane est une adolescente de 15 ans très timide. Ses parents sont constamment sur son dos au sujet de ses résultats scolaires mais ne prennent pas le temps de véritablement échanger avec elle. Ils pensent que c’est de la feignantise. D’ailleurs, ils ne lui laissent pas la possibilité de s’exprimer de manière générale. L’ambiance est plutôt grave à la maison. Elle n’a ni frère, ni sœur et son petit ami vient de rompre pour sortir avec sa voisine. Josiane apprécie beaucoup passer du temps avec ses amies mais n’a que rarement l’occasion de les voir. Un jour, alors qu’elles se retrouvent toutes ensemble, l’une d’entre elle apporte une guitare. Josiane connait quelques morceaux qu’elle interprète avec hésitation. Ses amies reconnaissent l’une des musiques et chantent en chœur le refrain. La musique se termine dans les cris de joie et les éclats de rire. Ce moment agréable provoquera la sécrétion de dopamine, de sérotonine et d’endorphine, comme lors de la consommation d’alcool. Sa copine lui prête l’instrument pour une durée indéterminée. Depuis, Josiane répète cette même musique tous les soirs pour éviter de penser à son ex petit copain. Si une mauvaise nouvelle arrive, il y a fort à parier (il fallait placer cette expression dans cet article) que Josiane utilise à nouveau la guitare pour lui faire face.

Attention, les informations présentées ne nous permettent pas de qualifier la pratique de la guitare par Josiane comme étant une addiction. Nous savons quelle utilise la guitare comme moyen de gestion de ses émotions négatives, ce qui correspond au premier critère. Elle accorde une fonction à ce comportement, mais il n’y a aucune conséquence négative à notre connaissance, ni même notion de perte de contrôle.

Si Josiane sèche les cours pour jouer de la guitare et fini par se faire renvoyer, on parlera en effet de conséquence négative. Si à cela on ajoute que, lorsque Josiane ressent une émotion négative elle ne parvient pas à la gérer sans sa guitare, on retrouve la triade correspondante à la définition selon Goodman.

« Donc les TOC sont des addictions ? »

Bien essayé, mais non ! Dans l’addiction, il y a une notion de plaisir (ou Liking) après avoir consommé la substance ou réalisé le comportement. Ce qui n’est pas le cas avec les troubles obsessionnels compulsifs. Les comportements adoptés dans le cadre d’un TOC sont uniquement présents pour fuir l’anxiété et non pour ressentir du plaisir.

Le Liking (plaisir) va de paire avec le Wanting (désir) et sont corrélés négativement. Le plaisir est très présent au début de l’addiction et le désir pas tant que ça. Mais au fur et à mesure des répétitions (consommation ou comportement), le plaisir diminue et le désir augmente…

En bref, le plaisir ressentie au début du processus de l’addiction provoque l’enregistrement du comportement par le biais de la dopamine. La dopamine (Wanting/désir) augmentera pour motiver l’usager à recourir au comportement afin de ressentir à nouveau ce Plaisir/Liking. Mais le corps s’habitue et le plaisir ne cesse de diminuer, alors que le désir va se manifester sous forme de pulsion (Craving) dans certaines situations de malaise visant à retrouver ce plaisir initial à jamais disparu.

Bibliographie :

  • Becker G.S., Murphy K.M. (1988). « A theory of rational addiction », The Journal of Political Economics, 96, pp. 675-700.
  • Bickel K.W., Miller M.L, Yi L., Kowal B.P., Linquist D.M., Pitcock J.A. (2007). « Behavioral and neuroeconomicsof drug addiction : Comparing neural systems and temporal discounting processes », Drug and alcohol dependence, 90, pp. 85-91.
  • George G., Le Moal M., Koob G.F. (2012). « Allostases and addiction : Roles of dopamine and corticoteropine releasing factor systems », Physiology and Behavior, 106, pp. 58-64.
  • Goodman, A. (1990). Addiction: definition and implications. British journal of addiction, 85(11), 1403-1408.
  • Hollerman J.R., Schultz W. (1998). « Dopamine neurons report an error in the temporal prediction of reward during learning », Nature Neurosciences, 4, pp. 304-309.
  • Izquierdo A., Jentsch J.D. (2012). « Reversal learning as a measure of impulsive and compulsive behavior in addictions », Psychopharmacology, 219, pp. 607-620.
  • Martin-Soelch C., Leenders K.L, Chevalley A.F., Missimer J., Kûnig G., Magyar S., Mino A., Schultz W. (2001). « Reward mechanism in the brain and their role in dependence from neurophysiological and neuroimaging studies », Brain Research Review, 36, pp. 139-149.
  • Rogers R.D. (2011). « The role of dopamine and serotonine in decision-making : evidence from pharmacological experiments in humans », Neuropharmacology, 36, pp. 114-132.
  • Wolkown N., Li T.K. (2005). « The neuroscience of addiction », Nature Neuroscience, 8, pp. 1429-1430.

FAQ

1. Qu’est-ce qu’une addiction comportementale ?


Une addiction comportementale est une dépendance qui se développe autour d’un comportement spécifique, comme le jeu, le sport, l’utilisation excessive d’écrans ou même des comportements apparemment inoffensifs comme l’attachement excessif à une personne ou à une activité. Contrairement aux addictions aux substances, ces comportements entraînent une activation du circuit dopaminergique, responsable de la motivation et du renforcement des actions répétées.

2. Comment la dopamine est-elle liée à l’addiction comportementale ?


La dopamine est souvent perçue comme « l’hormone du bonheur », mais elle joue en réalité un rôle plus complexe : elle est responsable de la motivation à accomplir un comportement et à atteindre un objectif. Lorsqu’un comportement provoque du plaisir ou soulage un malaise, le cerveau libère de la dopamine pour renforcer cette action et motiver sa répétition. En cas de répétition fréquente, ce comportement peut se transformer en addiction.

3. Qu’est-ce que le craving ?


Le craving désigne une pulsion incontrôlable, un désir intense et irrépressible de répéter un comportement, même en l’absence de substance. Il peut être déclenché par des stimuli externes, comme une odeur, une musique, ou même une émotion. C’est l’un des trois critères qui définissent l’addiction comportementale, aux côtés de la perte de contrôle et des conséquences négatives.

4. Tous les comportements répétitifs sont-ils des addictions ?


Non. Un comportement devient une addiction lorsqu’il répond à certains critères : il procure du plaisir ou soulage un malaise, il est difficile à contrôler, et il engendre des conséquences négatives. Par exemple, une personne qui joue à la guitare tous les soirs pour se détendre n’est pas nécessairement dépendante, mais si ce comportement interfère avec sa vie sociale, scolaire ou professionnelle, cela pourrait devenir une addiction.

5. Quelle est la différence entre addiction comportementale et TOC (troubles obsessionnels compulsifs) ?


Les TOC se caractérisent par des comportements compulsifs effectués pour réduire l’anxiété, sans plaisir réel. L’addiction, en revanche, implique une recherche de plaisir et une augmentation du désir au fil du temps (Wanting), avec une diminution du plaisir ressenti (Liking). Dans une addiction comportementale, la personne ressent une gratification et un plaisir liés à la répétition du comportement.

6. L’addiction comportementale est-elle similaire à une addiction aux substances ?


Oui et non. Les deux types d’addictions reposent sur les mêmes principes neurobiologiques, comme l’activation du circuit dopaminergique. Toutefois, la différence réside dans le fait que l’addiction comportementale implique des actions plutôt que des substances. La « Triade personne-comportement-environnement » joue un rôle clé dans les addictions comportementales, tout comme la substance agit dans les addictions classiques.

7. Les comportements comme le sport ou la prière peuvent-ils être des addictions ?


Oui, si ces comportements remplissent les critères de l’addiction : ils procurent un certain plaisir ou soulagement, deviennent incontrôlables et entraînent des conséquences négatives. Par exemple, une personne qui pratique le sport de manière excessive au point de négliger sa vie sociale ou sa santé physique pourrait être en proie à une addiction comportementale.

8. Peut-on guérir d’une addiction comportementale ?


Oui, comme pour les autres addictions, il est possible de se rétablir d’une addiction comportementale. Cela nécessite souvent un travail de prise de conscience, de rééducation des comportements et de gestion des émotions. Le soutien psychologique, les thérapies cognitivo-comportementales, et parfois l’accompagnement médical sont des outils efficaces pour traiter les addictions comportementales.

9. Comment savoir si un comportement est devenu une addiction ?


Si un comportement commence à nuire à d’autres aspects de la vie (travail, relations sociales, bien-être émotionnel), devient difficile à contrôler malgré les conséquences négatives, et qu’il est motivé par un désir incessant de répétition, il pourrait s’agir d’une addiction comportementale.

10. Existe-t-il des comportements qui ne peuvent jamais devenir des addictions ?


Non, en théorie, tout comportement peut devenir une addiction si les trois critères définis par Aviel Goodman sont réunis. Cependant, certains comportements sont moins susceptibles de se transformer en addiction en raison de leur nature ou de leur contexte social. Par exemple, des comportements comme manger ou dormir, bien qu’ils soient motivés par des besoins physiologiques, peuvent devenir des addictions si leur répétition est motivée par un plaisir excessif ou un manque de contrôle.

Mots-Clés :

Addiction comportementale ; Addiction sans substance ; Circuit dopaminergique ; Dopamine ; Conditionnement ; Craving ; Désir ; Liking ; Motivation ; Perte de contrôle ; Plaisir ; TOC ; Triade bio-psycho-sociale ; Triade personne-substance-émotion ; Wanting

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Auteur/autrice

francoiswinchester@gmail.com

Publications similaires

Thérapeute guidant une séance d’EMDR avec des mouvements oculaires pour traiter le stress post-traumatique.

La thérapie EMDR est-elle vraiment efficace ?

Et si des mouvements oculaires pouvaient apaiser les cicatrices invisibles d’un traumatisme ? La thérapie EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) promet...

Lire la suite
Illustration représentant une personne en transe ou en état de possession, partagée entre des éléments mystiques (croix, ombres, flammes) et des symboles scientifiques (cerveau, réseaux neuronaux), reflétant la dualité entre croyance et psychologie.

Exorcisme, possession… Et si c’était vrai ?

Vous avez peut-être entendu parler de cas de possession démoniaque : une personne qui change de voix, semble dotée d’une force incroyable...

Lire la suite
Discussion autour des limites du diagnostic psychiatrique

Pourquoi faut-il arrêter de diagnostiquer en psychiatrie ?

Un diagnostic psychiatrique, c’est rassurant. Ça pose un mot sur une souffrance. Ça donne l’illusion de comprendre. Mais si ce mot n’expliquait...

Lire la suite
Cet article explore en profondeur le phénomène des faux souvenirs, appuyé par les dernières recherches en psychologie cognitive et neurosciences. Il explique comment notre mémoire peut être manipulée par des éléments sociaux, émotionnels ou langagiers, jusqu’à générer des souvenirs erronés perçus comme vrais. L’étude de cas scientifiques emblématiques (Elizabeth Loftus, Bartlett, etc.) permet de mieux comprendre l’influençabilité de notre mémoire — un enjeu crucial en justice, en éducation et dans notre rapport à la réalité.

Les faux souvenirs, quand notre cerveau réécrit le passé

Nous chérissons nos souvenirs comme des trésors intimes : l’odeur du gâteau d’anniversaire de nos dix ans, le sourire d’un proche lors...

Lire la suite
Jeanne d’Arc entendait-elle vraiment des voix divines, ou souffrait-elle d’un trouble psychotique comme la schizophrénie ? Découvrez l’enquête historique, médicale et culturelle sur cette figure fascinante entre foi et science.

Jeanne D’Arc était-elle schizophrène ?

Jeanne d’Arc, figure emblématique de l’histoire française, est connue pour avoir entendu des voix divines qui l’ont guidée dans sa mission de...

Lire la suite
Analyse psychologique de l’inefficacité du système judiciaire français : délais, prison, biais cognitifs et perte de confiance. Une étude basée sur la science. La justice en France ou l'inefficacité d'un système judiciaire

La justice en France ou l’inefficacité d’un système judiciaire

Le système judiciaire français, pilier historique de l’État de droit, fait face à des critiques récurrentes quant à son inefficacité. Délais excessifs,...

Lire la suite