
Vous avez peut-être entendu parler de cas de possession démoniaque : une personne qui change de voix, semble dotée d’une force incroyable ou rejette violemment tout ce qui est sacré. Ces histoires, souvent associées à des exorcismes impressionnants, font partie de notre imaginaire collectif. Mais derrière ces phénomènes, souvent attribués au surnaturel, se cachent peut-être des explications bien humaines. Alors, la possession peut-elle être comprise à travers le prisme de notre esprit ?
« Attends ! Tu veux dire que la possession existe ?! »
Tout dépend de ce que tu entends par possession Michel…
Les signes d’une possession démoniaque :
La plupart des religions et des cultures reconnaissent la possession comme le moment où une entité (démon, ange, animal, djinn, ancêtre…) prend le contrôle du corps d’un individu. Dans la tradition, notamment catholique, une possession démoniaque n’est pas prise à la légère. Des signes précis, établis depuis des siècles et affinés par des figures comme le père Gabriele Amorth (1990), permettent de l’identifier :
🔹Une force hors du commun : soulever des objets lourds ou résister à plusieurs personnes, comme si une énergie surhumaine prenait le dessus.
🔹Des connaissances inattendues : parler une langue jamais apprise ou révéler des secrets impossibles à connaître.
🔹Une aversion au sacré : hurler ou se débattre face à une prière, une croix ou de l’eau bénite.
🔹Un changement total de personnalité : adopter une voix grave, un comportement agressif ou une identité qui semble étrangère.
Bref, vous l’aurez compris, un changement radical de comportement qui diffère de la normal. Ces critères, repris dans le Rituale Romanum (édition 1999), guident les exorcistes pour différencier une « vraie » possession d’un problème de santé. Mais ces manifestations, aussi troublantes soient-elles, résonnent avec ce que la psychologie observe dans certains états de l’esprit.
« Quoi ?! Certaines pathologies présentent des symptômes que l’on retrouve dans la possession ? »
Absolument Michel !
Les explications psychologiques de la possession :
🔹Une force impressionnante ou le pouvoir du stress
Vous avez déjà entendu ces récits de personnes soulevant une voiture pour sauver quelqu’un ? Sous l’effet du stress intense, notre corps libère de l’adrénaline, boostant temporairement nos capacités physiques (Kringelbach & Berridge, 2010). Dans un contexte de crise ou de croyance en une possession, cette poussée peut être perçue comme surnaturelle. Ajoutez à cela la dissociation – un état où l’esprit se « déconnecte » – et une personne peut agir au-delà de ses limites habituelles, comme l’explique Putnam (1989) dans ses travaux sur les troubles dissociatifs.
« ça ressemble un peu trop à Split pour moi »
Ce film reste une extrapolation d’une théorie scientifique qui n’a, jusque là, pas été invalidée…
🔹Parler une langue inconnue : mémoire cachée ou illusion ?
La « xénoglossie » fascine, mais elle pourrait venir de souvenirs enfouis. Spanos (1994) parle de cryptomnésie : des bribes de langues entendues dans le passé resurgissent sans qu’on s’en rende compte. Dans un état de transe ou sous suggestion, ces sons peuvent sembler mystérieux, surtout si l’entourage y voit un signe démoniaque. Ferracuti et Sacco (1996) ont observé que ces phénomènes émergent souvent dans des moments de forte émotion. D’autres auteurs l’expliquent par certains troubles tels qu’un TDI, un TSPT ou une schizophrénie (Stevenson, 1979 ; Pietkiewicz et al., 2021).
🔹Crise d’épilepsie :
Certaines formes d’épilepsie, notamment les crises du lobe temporal, peuvent provoquer des hallucinations, des altérations de la personnalité ou des comportements inhabituels, souvent interprétés comme des signes de possession dans des contextes non médicaux selon Dewhurst et Beard (1970).
🔹Rejet du sacré : une réaction émotionnelle
Pourquoi hurler face à une prière ? Pour Janet (1907), pionnier de la psychologie, cela peut être une réponse psychosomatique : un symbole fort, comme une croix, réveille des peurs ou des conflits internes, surtout dans un environnement religieux intense. Si une personne croit être possédée, cette croyance amplifie ses réactions, créant un cercle vicieux (Littlewood, 2004).
🔹Une autre personnalité : quand l’esprit se fragmente
Une voix rauque, un regard différent… C’est ce qui rappelle les cas de dissociation étudiés par Van der Hart et al. (2006). Sous stress ou trauma (Van Duijl et al., 2010), une partie de nous peut « prendre le contrôle », donnant l’impression d’une entité distincte. Dans une culture qui attend une possession, ce fragment devient « le démon ». Bourguignon (1976) note que ce phénomène est courant dans des contextes où l’idée de possession est acceptée.
Vous l’aurez compris, la culture prend une place importante dans l’interprétation des choses (voir l’article sur le syndrome TikTok)
« Ok, on arrive à expliquer les différents critères mais il n’y a aucun diagnostic pour les rassembler ? »
Bien sûr que si !
Le syndrome de possession psychiatrique :
Le syndrome de possession psychiatrique (PPS) désigne des symptômes où une personne semble contrôlée par une entité extérieure, comme un esprit ou un démon, souvent interprétés dans un cadre culturel ou religieux. Ce diagnostic n’est pas reconnu par le DSM mais reste présent dans les études scientifiques s’intéressant à ce genre de manifestations. Ces manifestations incluent des changements de comportement, de voix ou d’identité, causant détresse et altération du fonctionnement social. Une étude de 1998 en Chine sur 20 patients avec troubles dissociatifs a montré que presque 100 % rapportaient une perte de contrôle, souvent attribuée à des esprits, alignant le PPS sur le « trouble de transe dissociative » du DSM-IV (Gaw et al., 1998)
Le délire de possession :
Le délire de possession prend place dans la schizophrénie et se manifeste par la conviction qu’une entité extérieure (démon, esprit, ou autre force) contrôle les pensées, les actions ou le corps de la personne. Les patients peuvent décrire des sensations d’intrusion, des voix leur ordonnant d’agir, ou une perte de contrôle attribuée à une entité surnaturelle. Ces expériences sont souvent accompagnées d’hallucinations auditives ou de désorganisation de la pensée, aggravant la détresse psychologique.
Ce délire résulte de dysfonctionnements dans les réseaux neuronaux impliquant le cortex préfrontal et les régions temporo-pariétales, qui régulent le sentiment d’agentivité et la distinction entre soi et autrui (Blakemore et al., 2000). Ces anomalies peuvent créer une impression erronée que les pensées ou actions proviennent d’une source externe. Les hallucinations auditives, fréquentes dans la schizophrénie, renforcent ce délire lorsque les voix sont perçues comme des entités autonomes (Waters et al., 2014). Les facteurs psychologiques, comme le stress ou les traumatismes, peuvent exacerber ces symptômes en amplifiant l’anxiété et la méfiance (Bentall et al., 2012).
Là encore, le contexte culture prend une place importante. Dans les sociétés où les croyances en des entités surnaturelles sont répandues, les patients schizophrènes peuvent interpréter leurs symptômes comme une possession, conforme aux récits culturels locaux (Cardeña et al., 2009). Par exemple, une étude transculturelle a montré que les délires de possession sont plus fréquents dans des contextes africains ou sud-asiatiques, où les croyances spirituelles sont intégrées aux explications des troubles mentaux (Stompe et al., 2006).
« Mais ça veut dire que l’exorcisme est une forme de psychothérapie alors »
C’est à peu près ça oui !
L’Exorcisme :
Ce rituel, avec ses prières et son aura, peut avoir un effet réel… Mais pas celui qu’on imagine. McNamara (2011) explique que la foi en l’exorciste et la structure du rituel rassurent, un peu comme un placebo. Pour certains, c’est aussi une soupape : exprimer ses angoisses dans un cadre sécurisé soulage, comme une thérapie improvisée (Ferracuti et al., 1996). Pas de diable chassé, mais une paix retrouvée.
Prise en charge :
La prise en charge du syndrome de possession psychiatrique nécessite une approche multidisciplinaire. Une évaluation psychiatrique est essentielle pour identifier les troubles sous-jacents, comme le TDI ou les troubles de stress post-traumatique. La psychothérapie, notamment les approches centrées sur le trauma, peut aider à traiter les causes profondes. Dans certains cas, une collaboration avec des leaders spirituels peut être bénéfique pour respecter les croyances du patient tout en intégrant une perspective médicale (Cardeña et al., 2009).
« Malgré ces explications, les croyances restent ancrées ? »
Bien vu Michel !
Les explications scientifiques n’ont pas effacé les croyances en la possession, car celles-ci répondent à des besoins psychologiques fondamentaux. Attribuer des comportements jugés inexplicables à une entité extérieure permet de donner un sens à la souffrance et de mobiliser un soutien communautaire, notamment via des rituels comme l’exorcisme (Oesterreich, 1930). De plus, la « contagion sociale », où les récits médiatisés ou les films amplifient les croyances et renforcent la perception de la possession comme phénomène réel (Spanos, 1996).
En bref…
Pas besoin de chercher des forces obscures : la possession et les exorcismes s’expliquent souvent par des mécanismes bien terrestres. Stress, dissociation, croyances… notre cerveau est un créateur d’histoires incroyables.
La psychologie ne rejette pas la spiritualité : elle propose juste une autre grille de lecture. Comme le dit Levack (2013), ce qui semble démoniaque ici peut être sacré ailleurs. Alors, possession ou pas, ces expériences nous parlent de notre humanité.
Bibliographie
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- Bourguignon, E. (1976). Possession. San Francisco : Chandler & Sharp Publishers.
- Cardeña, E., van Duijl, M., Weiner, L. A., & Terhune, D. B. (2009). Possession trance disorders: A psychological perspective. In Dissociation and the Dissociative Disorders: DSM-V and Beyond (pp. 533-548). New York: Routledge.
- Ferracuti, S., & Sacco, R. (1996). Dissociative trance disorder and possession: A study of Italian cases. Dissociation, 9(4), 256-263.
- Ferracuti, S., & Sacco, R. (1996). Dissociative trance disorder: Clinical and Rorschach findings in ten persons reporting demon possession and treated by exorcism. Journal of Personality Assessment, 66(3), 525-539.
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- Janet, P. (1907). The Major Symptoms of Hysteria. New York : Macmillan.
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- Putnam, F. W. (1989). Diagnosis and Treatment of Multiple Personality Disorder. New York : Guilford Press.
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- Van der Hart, O., Nijenhuis, E. R. S., & Steele, K. (2006). The Haunted Self: Structural Dissociation and the Treatment of Chronic Traumatization. New York : Norton.
- Van Duijl, M., Nijenhuis, E., Komproe, I. H., & Kleijn, W. C. (2010). Dissociative symptoms and reported trauma among patients with spirit possession in Uganda. Journal of Trauma & Dissociation, 11(2), 169-185.
- Waters, F., Allen, P., Aleman, A., Fernyhough, C., Woodward, T. S., Badcock, J. C., Barkus, E., Johns, L., Varese, F., Menon, M., Vercammen, A., & Larøi, F. (2014). Auditory hallucinations in schizophrenia and nonschizophrenia populations: A review and integrated model of cognitive mechanisms. Schizophrenia Bulletin, 40(Suppl_4), S184–S194.
FAQ :
1. Comment reconnaît-on une possession démoniaque ?
Force surhumaine, connaissances étranges, rejet du sacré et changement de personnalité sont les signes classiques (Amorth, 1990).
2. La psychologie explique-t-elle tout ?
Elle offre des pistes solides (dissociation, stress), mais certains cas restent flous sans observations directes (Littlewood, 2004).
3. Pourquoi l’exorcisme semble marcher ?
Il agit comme un placebo ou une libération émotionnelle, pas par magie (McNamara, 2011).
4. Ces phénomènes sont-ils rares ?
Non, ils existent partout, mais leur sens change selon les cultures (Bourguignon, 1976).
5. Peut-on confondre possession et maladie ?
Oui, convulsions ou hallucinations évoquent des troubles neurologiques, mais le contexte fait la différence (Levack, 2013).
MARIUS François Psychologue et Hypnothérapeute Moulins 03000