
La schizophrénie, souvent perçue comme une maladie rare et mystérieuse, est en réalité beaucoup plus fréquente qu’on ne le pense. En dépit des nombreux fantasmes qui entourent cette pathologie, elle résulte principalement d’une réponse excessive au stress. Bien que les symptômes associés à la schizophrénie puissent être présents chez tout individu, leur intensité et leur expression varient d’une personne à l’autre. Loin de se limiter à des hallucinations ou à des comportements déconnectés de la réalité, la schizophrénie se manifeste aussi par des troubles cognitifs, des biais de jugement et des comportements d’évitement. Cette approche nous invite à revoir notre perception de la schizophrénie, non pas comme une pathologie isolée, mais comme une sensibilité exacerbée au stress, dont les effets peuvent être observés dans des situations de la vie quotidienne.
Source de fantasme, elle est beaucoup moins commune que ce que l’on voudrait bien croire… Hé oui, le problème est le même pour toutes les psychopathologies : le seuil diagnostic ! C’est à dire que chaque personne sur cette Terre possède tous les symptômes de chaque psychopathologie, dont la schizophrénie…
« Quoi ?!?! »
Oui, tout le monde possède tous les symptômes de chaque psychopathologie
Vous n’aviez jamais remarqué qu’on s’identifie toujours à un diagnostic lorsqu’on prend connaissance des symptômes ? C’est ce qui découle de l’hypothèse du continuum (Rose et Barker 1978) Les symptômes sont toujours présents mais à des degrés d’expression différents. Certains passent inaperçus parce qu’ils ne s’expriment pas, d’autres légèrement… Voyez ça comme faisant partie de la personnalité. La patience peut faire partie de vos qualités, ou ne pas être votre point fort. Elle peut être à toute épreuve ou seulement avec vos amis… Bref, elle est présente quoiqu’il arrive mais elle est plus ou moins forte.
Sachant que le contexte dans lequel le symptôme prend place est lui aussi important. Si vous hurlez de joie alors que vous venez d’apprendre que vous avez gagné au loto, c’est légitime… Par contre, si ça arrive au milieu d’un enterrement, ou en plein milieu d’une réunion à votre travail, c’est plus compliqué à justifier.
« C’est bien gentil mais c’est quoi le rapport avec la schizophrénie ? »
Oui, on s’écarte un peu du sujet, c’est vrai, mais la mise au point est importante. Pour plus d’informations je vous invite à consulter l’article « Le syndrome Tik-Tok »
Tout ça pour dire que la schizophrénie est beaucoup plus fréquente qu’on ne le pense mais n’est pas forcément visible ou handicapante. Comme dit plus haut, cette pathologie puise sa source dans le stress. Je m’explique :
L’impact du stress :
Le stress peut être bénéfique ou néfaste, en fonction de notre tolérance. Bien toléré, il aide notre organisme à s’adapter aux situations nécessitant une performance particulière (un examen, un entretien d’embauche, un date…). Il nous rend plus alerte, plus rapide et donc plus efficace. Mal toléré, c’est tout l’organisme qui s’emballe, c’est la panique, l’anxiété et même le psychotraumatisme.
« Oui, ça m’arrive toujours quand je dois prendre la parole en réunion. Attend !! Je suis schizophrène ?!?! »
Toi t’as rien compris…
Tout le monde tolère le stress plus ou moins bien. Dans le cas de la schizophrénie, le stress entraîne des difficultés bien particulières pour la personne. L’organisme s’active un peu trop et toutes les tâches cognitives sont réalisées mais négligées.
Les biais cognitifs :
Le « Jumping To Conclusion » est l’exemple parfait : ce biais cognitif consiste à faire des déductions sans prendre en considération toutes les informations. Pour le reste de cet article, nous prendrons l’exemple d’un délire de persécution dans lequel la victime de ce délire a la conviction qu’une ou plusieurs personnes cherchent à lui nuire. « Cette personne fronce les sourcils en me regardant, elle va m’agresser ». Pour arriver à cette conclusion, seul les sourcils sont considérés, ce qui n’est évidemment pas suffisant pour déduire quoique ce soit. Mais ce biais intervient aussi bien lors de raisonnement non délirant.
« Quand je prends l’avion, je suis persuadé qu’il va se crasher à la moindre turbulence »
C’est exactement ça !
Les turbulences provoquent une montée de stress et les déductions se font très rapidement. Le crash d’un avion signifie qu’il y a peu de chances de s’en sortir, il y a donc danger de mort. Pour éviter ça, il faut réagir rapidement, donc réfléchir rapidement… Alors que la turbulence signifie seulement qu’il y a une différence de pression dans l’air.
« il suffit d’éviter de prendre l’avion et il n’y a pas de problème »
Hélas, ce n’est pas aussi simple…
🔹L’évitement, la fuite et les « Safety Behaviors »
Cette solution s’appelle un « Safety Behavior » dans la littérature scientifique, ou plus communément un comportement d’évitement (voir l’article sur l’anxiété). Lorsqu’un danger fondé se présente, l’évitement peut être la seule bonne solution. Cependant, lorsque ce danger n’est pas fondé, éviter la situation ne fera que confirmer l’existence d’un danger.
« Bah non, en réunion, si je ne prends pas la parole, je ne me ridiculise pas »
Oui, c’est vrai, mais qui te dit que tu te serais ridiculisé ?
En évitant la situation, la peur d’être ridicule ne se réalise pas et elle va se renforcer. Ton cerveau se dit « je n’ai pas pris la parole et je ne me suis pas ridiculisé » ce qui va devenir une vérité générale pour lui. Dans ce cas-là, on parle de cognition dysfonctionnelle. Cette cognition va diriger tes prochaines réunions alors qu’il n’y a aucune certitude sur le fait que tu te ridiculiserais. Certaines fois, les cognitions dysfonctionnelles sont beaucoup moins évidentes, donc plus difficiles à travailler. Le plus efficace pour repérer et modifier ses cognitions dysfonctionnelles sont les colonnes de Beck.
Pour revenir à la schizophrénie, dans le cas d’un délire de persécution (non pas qu’il soit le plus commun, mais il est le plus parlant), lorsqu’une personne est jugée menaçante, le persécuté va l’éviter, la fuir. « J’ai évité cette personne, elle ne m’a pas agressé » – Oui, mais si tu ne l’avais pas évité, elle ne t’aurait pas non plus agressé. Mais ça, le persécuté ne le saura jamais. Sa croyance est donc renforcée et les comportements d’évitement sont répétés et généralisés. Vous commencez à comprendre le processus ? Très bien, parce que c’est pas tout, il y a ce qu’on appelle la « Theory of Mind« .
🔹La « Theory of Mind » (ToM ou théorie de l’esprit) :
considère l’empathie et plus précisément, l’attribution d’états mentaux aux autres ou à soi-même. Ce concept se hiérarchise en 3 niveaux qui s’acquièrent durant le développement normal de l’enfant.
- ToM des intentions (capacité à déduire les intentions d’une tierce personne)
- ToM des émotions (capacité à déduire les émotions d’une tierce personne)
- ToM de second ordre (capacité à déduire les fausses croyances d’une tierce personne)
« C’est ce qui fait défaut dans le trouble du spectre autistique ? »
Pas essentiellement mais oui, c’est bien ça !
La ToM est entravée et provoque des erreurs de jugement vis-à-vis des intentions/émotions des autres.
🔹Le style attributionnel :
Vous savez, c’est lorsqu’on s’attribue une réussite mais que l’on attribue aux autres ou à l’environnement un échec : « j’ai tellement travaillé pour obtenir cette bonne note » / « le correcteur a été très stricte et trop sévère, ce n’est pas de ma faute ». Nous avons tous cette tendance, mais dans la schizophrénie, celle-ci est exacerbée et la confiance qui lui est accordée, est poussée à son paroxysme. Ce qui fait que la personne y croit dur comme fer. On a donc une erreur dans l’attribution des événements et une confiance élevée dans ces attributions…
« Je t’assure que le petit Johnny a fait exprès de renverser son verre d’eau pour me mettre en colère ! »
Oui, oui…
Et pour finir :
🔹l’anxiété :
L‘anxiété c’est la conviction qu’une catastrophe va se produire dans un futur plus ou moins proche. Elle permet de prévenir le danger mais dans la schizophrénie, elle créée le danger. La personne atteinte de schizophrénie va « tout regarder avec insistance ; écouter attentivement pour trouver des preuves ; regarder partout en cherchant des significations cachées » (Cameron, 1959).
En regardant avec minutie tout notre environnement proche, on trouvera forcément des éléments menaçants. Que ce soit un passant fronçant les sourcils, une caméra de surveillance dans la rue, une voisine à sa fenêtre ou un automobiliste distrait qui manque de nous renverser… Là, tout commence !
Pour résumer, prenons Frédéric en exemple.
Vignette clinique :
Frédéric se promène dans la rue et aperçoit un homme qui avance rapidement dans sa direction. Cet événement engendre du stress et de l’anxiété. Cette anxiété le pousse à chercher tous les détails pouvant confirmer qu’il est en danger. L’homme avance le visage penché vers le bas, les mains dans les poches : « Il ne veut pas que je vois son visage et il cache une arme dans ses poches » (Jumping To Conclusion). Le stress entrave la ToM (les intentions des autres sont interprétées de manière biaisée) ce qui ne l’aide pas à rationnaliser : « cet homme peut être en retard à un rdv, il fait froid donc garde les mains dans ses poches et le visage penché parce qu’il y a du vent ». L’erreur d’attribution pousse notre Frédéric à croire dur comme fer en ses interprétations biaisées. La seule solution pour lui est d’éviter cet homme et c’est ce qu’il va faire (Safety Behavior). Une fois Frédéric en sécurité, il se dit qu’il a évité le danger – Ouf ! Il a donc bien fait de fuir. Cette conclusion va renforcer sa croyance, donc la confiance qu’il accordera à l’avenir en ses interprétations biaisées.
En bref, la schizophrénie est une sensibilité accrue au stress qui provoquera une déficience des capacités du jugement objectif.
Bibliographie :
- American Psychiatric Association. (2013). Manuel Statistique et Diagnostique des Troubles Mentaux, (5ème éd.). American Psychiatric Association. Washington, DC.
- Bleuler E. (Trans. J. Zinkin), (1950). Dementia praecox or the group of schizophrenias. New York, NY: International Universities Press.
- Cameron, N. (1959). The paranoid pseudo-community revisited. American Journal of Sociology 65, no. 1 (Jul., 1959): 52-58.
- Corcoran, R., Mercer, G., & Frith, C. D. (1995). Schizophrenia, symptomatology and social inference: Investigating “theory of mind” in people with schizophrenia. Schizophrenia Research, 17, pp. 5-13
- Cutting, J., & Shepherd. M. (1987). The clinical roots of the schizophrenia concept. Cambridge University Press.
- Frith, C. D., & Corcoran, R. (1996). Exploring ‘Theory of Mind’ in people with schizophrenia. Psychological Medicine, 26(3), 521–530.
- Green, M. J., Williams, L. M., & Davidson, D. (2003). Visual scanpaths to threat-related faces in deluded schizophrenia. Psychiatry Research, 119(3), 271–285.
- Rose, G., & Barker, D. J. (1978). Epidemiology for the uninitiated. what is a case? Dichotomy or continuum? BMJ, 2(6141), 873–874.
FAQ
1. Qu’est-ce que la schizophrénie ?
La schizophrénie est une psychopathologie qui se caractérise par une sensibilité accrue au stress, entraînant des difficultés particulières et des déficiences dans le jugement objectif. Elle n’est pas aussi fréquente qu’on le pense et peut se manifester de différentes manières.
2. Tout le monde peut-il présenter des symptômes de schizophrénie ?
Oui, selon l’hypothèse du continuum, chaque personne possède tous les symptômes de chaque psychopathologie, y compris la schizophrénie, mais à des degrés d’expression différents.
3. Comment le stress est-il lié à la schizophrénie ?
Le stress peut être à l’origine des difficultés spécifiques rencontrées par les personnes atteintes de schizophrénie. Il peut entraîner une activation excessive de l’organisme, perturbant ainsi les tâches cognitives et provoquant des réactions disproportionnées.
4. Qu’est-ce que le « Jumping To Conclusion » (JTC) ?
Le JTC est un biais cognitif où une personne fait des déductions hâtives sans prendre en compte toutes les informations disponibles. Cela peut conduire à des croyances erronées, comme dans le cas d’un délire de persécution.
5. Qu’est-ce qu’un comportement d’évitement (Safety Behavior) ?
Un comportement d’évitement est une réponse à un danger perçu, où la personne évite la situation qui provoque du stress. Cependant, cela peut renforcer la croyance en l’existence du danger, même si celui-ci n’est pas fondé.
6. Comment la « Theory of Mind » (ToM) est-elle affectée dans la schizophrénie ?
La ToM, qui implique la capacité à déduire les intentions, les émotions et les fausses croyances d’autrui, peut être entravée chez les personnes atteintes de schizophrénie, entraînant des erreurs de jugement.
7. Qu’est-ce que le style attributionnel dans la schizophrénie ?
Dans la schizophrénie, il y a une tendance exacerbée à s’attribuer les réussites personnelles et à attribuer les échecs à des facteurs externes. La confiance en ces attributions est poussée à son paroxysme.
8. Comment l’anxiété se manifeste-t-elle dans la schizophrénie ?
L’anxiété dans la schizophrénie est la conviction qu’une catastrophe imminente va se produire. Elle pousse la personne à chercher des preuves de danger dans son environnement proche, renforçant ainsi ses croyances biaisées.
9. Comment identifier et modifier les cognitions dysfonctionnelles ?
Les colonnes de Beck sont un outil efficace pour repérer et modifier les cognitions dysfonctionnelles. Elles aident à analyser et à restructurer les pensées irrationnelles et les croyances erronées.
10. La schizophrénie est-elle incurable ?
La schizophrénie est une maladie chronique, mais avec un traitement approprié et une gestion du stress, les symptômes peuvent être atténués et la qualité de vie améliorée.
MARIUS François Psychologue et Hypnothérapeute Moulins 03000