
Jeanne d’Arc, figure emblématique de l’histoire française, est connue pour avoir entendu des voix divines qui l’ont guidée dans sa mission de libérer la France pendant la guerre de Cent Ans. Ces expériences, rapportées lors de son procès en 1431, ont suscité des débats qui l’ont mené vers une condamnation réservée à l’usage de la sorcellerie, hérésie, schisme, blasphème et divination superstitieuse. Mais parmi les historiens et les psychiatres, une question subsiste : ces « voix » étaient-elles le signe d’une schizophrénie ou d’une autre condition psychologique ? Jeanne D’Arc était-elle schizophrène ?
« Pas besoin d’avoir fait un doctorat pour savoir que si tu entends des voix, c’est qu’il y a un problème ! »
Ce n’est pas aussi simple Vincent, ce n’est pas parce qu’on entend des voix qu’on est fou !
Les hallucinations « normales » :
Il existe plusieurs facteurs déclencheurs d’hallucinations en dehors d’une psychopathologie. Notons tout d’abord la prise de substances psychoactives telles que la psilocybine, le LSD ou encore la DMT. Dans ces conditions, nous pouvons parler d’induction d’hallucinations par prise de substance.
En dehors d’une condition de substances psychoactives, le sommeil est un facteur facilitant l’apparition d’hallucinations.
« Oui, ça s’appelle rêver, merci de l’info ! Pffff »
Non, je parle d’autre chose
Les hallucinations hypnagogiques et hypnopompiques sont des hallucinations qui interviennent respectivement lors de l’endormissement et du réveil.
Finalement, le deuil est une condition favorable à l’apparition d’hallucinations. Lors d’une expérimentation de Grimby (1993), 82% des participants en condition de veuvage étaient sujets aux hallucination 1 mois après le décès de leur proche. Ce qui fait écho à la théorie du continuum de Rose et Barker (1978) expliquée ici.
Il semblerait que les hallucinations soient provoquées par des fonctions exécutives moindres (Daalman et al., 2011), soit une faible capacité d’adaptation à l’environnement. La prise de substance psychoactives joue sur ces fonctions exécutives, mais aussi la fatigue et le stress. Mais ce n’est pas un problème ! Ce qui est problématique c’est lorsque ces hallucinations provoque de la détresse chez le sujet.
Notons que les hallucinations sont différentes du délire. L’hallucination est la perception de quelque chose qui n’est pas présent alors que le délire est une logique en dehors de la réalité avec une cohérence interne à l’individu. Pour plus de détails, vous pouvez consulter l’article sur la schizophrénie.
« C’est bien beau de faire péter sa science, mais Jeanne d’Arc dans tout ça ? »
On y arrive…
Les Voix de Jeanne : Témoignages et Descriptions
Les transcriptions du procès de Jeanne d’Arc, minutieusement conservées, offrent un aperçu rare de ses expériences. À 13 ans, elle rapporte avoir entendu des voix, d’abord effrayantes, puis rassurantes, identifiées comme celles de saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Ces voix s’accompagnaient de visions lumineuses et, parfois, de sensations tactiles et olfactives – Jeanne affirmant avoir touché et senti les saints. Selon Allen (1975), ces hallucinations multimodales (auditives, visuelles, tactiles) pourraient évoquer un trouble psychotique comme la schizophrénie, caractérisée par des perceptions sensorielles sans stimuli externes. Cependant, la cohérence de son discours et son comportement social, décrits par les témoins de l’époque, compliquent cette hypothèse.
« Jeanne d’Arc était donc bien schizophrène »
Ne va pas si vite Vincent, une hypothèse diagnostique demande du temps et de la prudence
Jeanne D’Arc était schizophrène : Une Hypothèse Plausible ?
La schizophrénie, affectant environ 1 % de la population, se manifeste souvent par des hallucinations auditives et des délires, débutant typiquement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte – un profil correspondant à l’âge de Jeanne (13-19 ans). Une étude de Foote et collègues (2009) souligne que les hallucinations visuelles, bien que rares dans la schizophrénie, peuvent survenir dans certaines formes atypiques. Pourtant, plusieurs éléments contredisent ce diagnostic. Jeanne ne présentait pas de repli autistique, de discours désorganisé ou de délires, symptômes centraux de la schizophrénie selon le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003). Au contraire, ses « voix » étaient structurées, cohérentes avec sa foi et son contexte culturel, et l’ont menée à des actions concrètes et réussies, comme la levée du siège d’Orléans.
« Oui bah elle était juste folle alors ?! »
Non, la folie pure n’existe pas
Alternatives Psychopathologiques
D’autres hypothèses ont été explorées. L’épilepsie temporale, notamment l’épilepsie partielle avec aura extatique, est une candidate sérieuse. D’Orsi et Tinuper (2016) suggèrent que des crises localisées dans le lobe temporal pourraient expliquer les visions mystiques et les hallucinations auditives de Jeanne, sans les convulsions typiques de l’épilepsie généralisée. Cette théorie est étayée par des cas historiques, comme celui de Dostoïevski, où des expériences similaires ont été documentées. Cependant, l’absence de mentions de crises physiques dans les procès affaiblit cette hypothèse.
Une autre possibilité est un trouble bipolaire, avec des phases maniaques expliquant son énergie, sa désinhibition et sa conviction d’être investie d’une mission divine (Nores & Yakovleff, 1995). Pourtant, aucun signe de dépression ou de cycles marqués n’est rapporté, rendant ce diagnostic incertain. Enfin, certains auteurs, comme Ratnasuriya (1986), proposent que les « voix » pourraient refléter la présence de tuberculose dans certaines régions cérébrales. Cette hypothèse trouverait confirmation par l’aménorrhée et la cachexie de Jeanne.
« Alors c’est bon, on sait ce qu’elle avait ! »
Doucement, le contexte socioculturel peut aussi nous donner des indices
Le Contexte Socioculturel : Une Clé Essentielle
Le Moyen Âge européen, marqué par une religiosité omniprésente, valorisait les visions mystiques. Beaune (2004) note que les prophéties, comme celle d’une vierge libératrice, circulaient à l’époque, influençant peut-être Jeanne. Une étude de Hughes (2005) argue que ses expériences pourraient être une réponse psychologique à ce cadre culturel, sans nécessiter un diagnostic psychiatrique. Les hallucinations, fréquentes chez les sujets sains sous stress ou dans des états de transition veille-sommeil (Ohayon, 2000), pourraient ainsi avoir été interprétées par Jeanne comme des messages divins, renforcés par sa piété et son environnement.
« Bon alors, Jeanne D’Arc était-elle schizophrène ? »
Poser un diagnostic rétrospectif sur Jeanne d’Arc est un exercice délicat. La schizophrénie, bien que séduisante au vu des hallucinations, ne correspond pas pleinement à son profil fonctionnel et social. Les alternatives médicales (épilepsie, bipolarité, tuberculose) manquent de preuves solides, tandis que l’hypothèse contextuelle – une personnalité atypique dans un cadre mystique – semble plus cohérente. Comme le souligne Mackowiak (2007), les données historiques, biaisées par les procès, ne permettent pas une certitude clinique. Jeanne pourrait avoir été une figure exceptionnelle, dont les expériences, amplifiées par son époque, échappent aux catégories modernes de la psychiatrie.
En bref
Jeanne d’Arc schizophrène ? Probablement pas. Ses « voix » et visions, bien que suggestives d’un trouble psychotique au premier abord, s’inscrivent davantage dans une dynamique psychologique et culturelle que dans une pathologie claire. Les analyses scientifiques invitent à dépasser les étiquettes diagnostiques pour considérer Jeanne comme un produit unique de son temps – une héroïne dont le mystère persiste, entre foi, psychologie et histoire.
Bibliographie
- Allen, C. (1975). The Schizophrenia of Joan of Arc. History of Medicine, 6, 4-9.
- American Psychiatric Association. (2003). DSM-IV-TR : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris : Éditions Masson.
- Beaune, C. (2004). Jeanne d’Arc. Jeanne avant Jeanne. Paris : Tempus éditions, 86-114.
- Daalman, K., Van Zandvoort, M., Bootsman, F., Boks, M., Kahn, R., & Sommer, I. (2011). Auditory verbal hallucinations and cognitive functioning in healthy individuals. Schizophrenia Research, 132(2-3), 203–207.
- D’Orsi, G., & Tinuper, P. (2016). Neurologists speculate that Joan of Arc heard voices because she suffered from epilepsy. Ancient Origins.
- Foote, M., et al. (2009). Visual hallucinations in schizophrenia: A review. Revue de Psychiatrie Clinique, 34(2), 123-130.
- Grimby, A. (1993). Bereavement among elderly people: grief reactions, post-bereavement hallucinations and quality of life. Acta Psychiatrica Scandinavica, 87(1), 72–80.
- Hughes, J. R. (2005). Did Joan of Arc have epilepsy? A response to speculation. Epilepsy & Behavior, 7(3), 345-347.
- Mackowiak, P. A. (2007). Post-Mortem: Solving History’s Great Medical Mysteries. Philadelphia : ACP Press, 138-139.
- Nores, J. M., & Yakovleff, Y. (1995). Joan of Arc’s visions: Tuberculosis or ecstasy?. Medical Hypotheses, 45(2), 123-126.
- Ohayon, M. M. (2000). Prevalence of hallucinations and their pathological associations in the general population. Psychiatry Research, 97(2-3), 153-164.
- Ratnasuriya, R. H. (1986). Joan of Arc: A psychological interpretation. British Journal of Psychiatry, 148, 567-572.
- Rose, G., & Barker, D. J. (1978). Epidemiology for the uninitiated. what is a case? Dichotomy or continuum? BMJ, 2(6141), 873–874.
FAQ
1. Jeanne d’Arc entendait-elle vraiment des voix ?
Oui, selon les transcriptions de son procès en 1431, elle a décrit des expériences auditives, visuelles et sensorielles qu’elle attribuait à des saints. Ces témoignages sont considérés comme fiables par les historiens, bien que leur origine reste débattue.
2. La schizophrénie peut-elle expliquer ses visions ?
Pas entièrement. Si les hallucinations sont un symptôme de la schizophrénie, Jeanne ne montrait pas les autres signes typiques (repli social, discours incohérent), rendant ce diagnostic peu probable selon plusieurs études.
3. Quelles autres explications médicales sont envisagées ?
L’épilepsie temporale et les troubles bipolaires sont proposés, mais sans preuves physiques (crises) ou cycles affectifs clairs, ces hypothèses restent spéculatives.
4. Son époque a-t-elle influencé ses expériences ?
Oui, le contexte médiéval, riche en mysticisme et prophéties, a probablement façonné la manière dont Jeanne a perçu et interprété ses « voix », selon des chercheurs comme Beaune (2004).
5. Peut-on diagnostiquer Jeanne aujourd’hui ?
Non, les données historiques sont insuffisantes pour un diagnostic définitif. Les biais des procès et l’absence d’observations cliniques modernes limitent toute conclusion.
Jeanne D’Arc était-elle schizophrène ?
MARIUS François Psychologue et Hypnothérapeute Moulins 03000